Aujourd’hui, 56 % de la population mondiale habite en ville, une proportion qui atteint 80 % en France. Ce contexte d’urbanisation modifie en profondeur les relations entre humains et nature. Il pose aussi des défis majeurs de durabilité.
D’un côté, les transformations paysagères urbaines participent au déclin de la biodiversité en homogénéisant les communautés biologiques à large échelle. De l’autre, l’omniprésence des paysages urbains et les changements de modes vie contribuent au déclin de l’expérience de nature des citadins. Ceci a des effets néfastes sur la santé, mais aussi sur la volonté de promouvoir des actions en faveur de la biodiversité.
Pour remédier à ces problèmes, il importe de trouver des manières de planifier et de concevoir des villes qui permettent de favoriser la biodiversité urbaine, d’augmenter les interactions entre humain et non-humain, tout en améliorant le bien-être des citadins.
Approche de conservation apparue à la fin des années 1980 en Amérique du Nord, le rewilding (ré-ensauvagement) vise à encourager des écosystèmes autonomes et fonctionnels en limitant la domination et le contrôle humain. Le rewilding a jusqu’à maintenant été principalement appliqué et discuté dans des environnements présentant une faible densité de population ou dans des secteurs marqués, ces derniers temps, par la déprise agricole.
Dans un article récemment publié dans Biological Reviews, nous avons proposé d’étendre ce concept aux milieux très anthropisés que sont les villes.
Ensauvagement urbain
Qu’est-ce que l’ensauvagement urbain (urban wilding) ? Il s’agit d’augmenter l’autonomie des écosystèmes en promouvant des espaces urbains avec un minimum d’interventions humaines. C’est-à-dire : un minimum de plantations et de maintenance.
Cette vision ne vise ni à atteindre un état écologique de référence passé ni à privilégier des communautés biologiques en particulier, mais à promouvoir la spontanéité des processus écologiques. Par exemple, la colonisation, le libre développement des plantes et la circulation des animaux dans les sites urbains. Ainsi, elle se distingue de la végétalisation classique, où les espèces sont sélectionnées par des choix de plantation et des pratiques de maintenance (enrichissement des sols, désherbage, enlèvement du bois mort…).
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L’ensauvagement peut se décliner sur des espaces urbains de toutes tailles et aux usages contrastés. Il peut s’agir d’espaces agricoles ou naturels imbriqués dans la matrice urbaine, de lieux où les interventions humaines sont réduites de manière intentionnelle (parcs et jardins écologiques), d’espaces sauvages informels (friches, terrains vagues) mais aussi des espaces construits (toits, murs, trottoirs).
Nous avons cherché à déterminer sous quelles conditions l’approche d’ensauvagement urbain pouvait favoriser une meilleure cohabitation entre nature et société en ville. Pour cela, nous avons synthétisé un large panel de littérature interdisciplinaire (plus de 270 articles scientifiques). Cela nous a permis :
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d’identifier les processus écologiques à travers lesquels l’ensauvagement promeut la biodiversité urbaine,
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d’évaluer les attitudes des citadins à l’égard des espaces sauvages urbains,
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et enfin de discuter l’intégration de l’approche d’ensauvagement dans la fabrique de la ville.
Favoriser la biodiversité
La synthèse de littérature montre que l’ensauvagement favorise la biodiversité en ville à travers deux processus.
À l’inverse de la végétalisation classique, où les plantations et semis sont souvent basés sur de mêmes gammes d’espèces, la promotion de la végétation spontanée facilite l’expression de plantes diversifiées, en réponse aux multiples conditions environnementales urbaines (paramètres physico-chimiques des sols, microclimat). On retrouve notamment cette forte diversité végétale dans les friches urbaines.
Ensuite, la diminution des pratiques de maintenance permet de favoriser la diversité végétale, alors qu’une forte fréquence de tonte ne va sélectionner que certaines espèces adaptées à la coupe régulière comme la pâquerette ou le pâturin annuel. Une attention particulière doit cependant être conservée à l’égard des espèces exotiques envahissantes.
À l’échelle de la ville, la réduction de ces interventions encourage une diversité de stades végétaux, du stade herbacé au stade arboré, avec des compositions floristiques variées, qui sont des ressources alimentaires et des habitats écologiques pour une grande diversité d’espèces animales – en particulier les insectes, fortement en déclin à l’échelle globale.
Recréer du lien entre nature et citadins
L’ensauvagement urbain promeut des activités humaines moins interventionnistes et plus attentives aux milieux naturels spontanésn mais ne signifie pas pour autant l’absence de présence humaine.
Au contraire, notre synthèse de littérature révèle que les espaces sauvages urbains peuvent contribuer à améliorer le cadre de vie des citadins, en créant des interactions et des expériences qualitatives autour de la nature. Par exemple pour les enfants, les espaces modérément gérés présentent des opportunités de jeux telles que la cueillette, l’observation ainsi que des parcours et des cachettes dans la végétation.
Avec toutefois un avertissement : certains aspects des espaces sauvages, comme la végétation dense qui réduit la visibilité, peuvent engendrer de l’anxiété ou un sentiment de négligence et d’abandon.
Ces attitudes négatives peuvent être atténuées grâce à des interventions légères. Par exemple la création de chemins bien tracés, de petites zones récréatives gérées ou l’installation de petits mobiliers pour signaler que les espaces sauvages urbains restent accessibles pour les habitants et ne sont pas abandonnés.
Repenser le rapport ville-nature
La notion d’ensauvagement urbain requestionne donc en profondeur les relations ville-nature. Historiquement, les villes couvraient des espaces beaucoup moins importants qu’aujourd’hui et étaient des lieux conçus par et pour les hommes, où la végétation, perçue comme une structure ornementale, était sélectionnée et contrôlée. L’ensauvagement urbain modifie radicalement cette vision, en proposant de reconnaître l’altérité des autres êtres vivants et de partager une partie de nos villes avec eux.
Cela implique d’être inventif et subtil dans l’agencement urbain pour décliner les espèces sauvages à de multiples échelles spatiales : espaces publics, sites résidentiels et commerciaux, infrastructures de mobilités urbaines, centres historiques et patrimoniaux…
Enfin, il importe que les enjeux de biodiversité de l’ensauvagement n’aillent pas à l’encontre, mais s’allient aux enjeux sociaux. La mise en œuvre de cette approche requiert une gouvernance juste et inclusive pour favoriser les discussions entre citoyens, élus, services municipaux et scientifiques.
Sébastien Bonthoux, Maître de conférences, ENP INSA CVL, UMR CNRS CITERES, INSA Centre Val de Loire et Simon Chollet, Maître de conférences en sciences du vivant
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.